lundi

Crèche : enfants productifs = parents heureux ?






article publié dans la revue Infocrèche Pro.

Dès la fin de la section des moyens en crèche, bon nombre de parents attendent que leur enfant soit « productif » en crèche, et que vous, les professionnels, leur délivriez, le soir venu, le beau dessin réalisé par leur progéniture au cours de la journée. Que traduit un tel désir ? Quel est le revers de la médaille ?

« Ah non ? Ma fille n’a pas fait de dessin aujourd’hui ? Alors que, manifestement, ce n’est pas le cas de tous les enfants… Mais qu’a-t-elle donc fait de sa journée ? » Il est 18h15. La maman d’Emma, deux ans et demie, vient récupérer sa fille à l’issue de la journée de crèche. Elle s’étonne spontanément que la professionnelle ne lui tende aucun dessin, aucun collage… Bref, aucune production réalisée par son enfant ce jour. Les raisons possibles de cette « inactivité apparente » sont multiples : lors de l’activité « dessin », l’enfant préférait jouer à la bricoleuse avec la boîte à outils pendant que ses copains s’adonnaient à la peinture, ou bien, les professionnelles ont orchestré davantage de temps de jeu libre que d’activités cadrées, ou encore, l’enfant a dessiné ce qui lui plaisait mais a préféré déchirer en petits confettis son oeuvre d’art… Autant de raisons, véridiques en soi, qu’il n’est pas toujours aisé de faire entendre à certains parents.

La crèche, ce n’est pas l’école
Parfois pris dans cette course à la réussite dès le berceau et dans la crainte que leur enfant soit en échec à son entrée en maternelle, certains parents peuvent investir la crèche comme un lieu d’apprentissage « actif », comme ce serait le cas à l’école. Cette volonté d’amorcer les apprentissages premiers, tels que la nomination des couleurs, le coloriage, le respect d’une consigne, la formulation conventionnelle d’une requête à l’adulte, est de plus en plus précoce. A partir d’un certain âge, lorsque l’enfant est en capacité de se tenir assis sur une chaise et de se concentrer à minima, les activités de type cadré, à l’ambiance scolaire, sont attendues par les parents. Pourquoi un tel désir de productivité ? Pour l’aspect scolaire que cela implique ? Parce qu’ils craignent que leur enfant s’ennuie, qu’il perde son temps alors que l’école et son exigence arrivent à grands pas ? Parce qu’être productif, c’est apprendre, et être actif ? Ou bien parce que, étant tout simplement absents durant la journée de leur enfant, les parents en apprécient tout souvenir matériel ? Bref, ils raffolent des dessins, collages, coloriages et acolytes, de leur chérubin. Et les raisons sont diverses, et confuses.
Toutefois, attention au revers de la médaille ! Il est certain qu’une jolie création bien colorée et harmonieuse touchera davantage le parent qu’un bout de papier chiffonné négligemment et griffonné de couleurs sombres. D’autant plus que dans le premier cas de figure, les parents apprécieront sans doute votre investissement personnel, votre capacité à cadrer leur enfant et à organiser une activité dans laquelle il a donné le meilleur de lui-même. Et, à juste titre, vous êtes sensible à la satisfaction des parents quant à votre travail et à la manière dont vous prenez soin de leur enfant. Ainsi, désireux que le petit pot pailleté de Noël soit présentable, il arrive à certains d’entre vous de court-circuiter l’artiste en herbe dans l’élaboration du projet : ce peut être le léger rafraîchissement d’une décoration pour la mettre plus en valeur, le choix d’un type de paillettes qui s’harmonisera davantage avec la forme du pot, voire le fait de saisir la main de l’enfant pour l’aider au mieux à colorier dans les espaces prévus à cet effet… Au final, ce n’est plus tout à fait la production de l’enfant, ni celle du professionnel. Il s’agit plutôt d’un compromis entre les deux. En conclusion, vous pouvez être partagé entre leur désir de contenter les parents d’une part, et vos valeurs pédagogiques d’autre part, soit entre les intérêts des adultes et ceux des enfants. Car eux, les enfants, sont-ils réellement plus contents, développés ou épanouis si leur création ressemble à quelque chose ? « Dès mon arrivée à la direction de la crèche, avec mon adjointe, nous avons tout révolutionné ! Nous sommes mises d’accord pour repenser le projet pédagogique de la structure, et, au niveau des activités, de se centrer désormais sur les besoins et le développement des enfants. Finis les cadeaux pour la fête des mères, la fête des pères, Noël, Pâques, etc. Plus question de faire à leur place ! Nous bannissons tout projet de création qui n’est pas réalisable par un enfant, de A à Z. Et d’ailleurs, pourquoi imposer à un enfant de faire un dessin le jour de la fête des mères ? Et s’il n’en a pas envie, va-t-on le forcer ? » s’interroge Camille, directrice d’une crèche collective parisienne.

Attention à la comparaison !
Autre revers de la médaille : la comparaison. Imaginez-vous la scène suivante, fréquente dans certains lieux d’accueil : vous prenez soin d’afficher tous les dessins des enfants sur un mur de la section, au bas desquels vous mentionnez à chaque fois le nom du petit artiste. D’après vous, quelle sera l’attitude des parents à leur égard ? Après avoir cherché et trouvé celui de leur progéniture, sans doute vont-ils comparer la production de leur enfant à celle de ses copains. Cette comparaison spontanée vient souvent répondre au besoin, légitime, du parent de se rassurer sur les compétences de son enfant. Toutefois, elle est peu saine, et n’est pas sans risque. « Je travaille au sein d’une crèche privée d’entreprise dans laquelle sont accueillis, à la même enseigne, une grande partie des enfants des employés, de la technicienne de surface au PDG. Cela peut créer une gêne, des tensions entre les parents lorsqu’ils viennent récupérer leur enfant le soir. Ils ont tendance à comparer les progrès des uns et des autres, et si la petite fille de la secrétaire a de l’avance sur le petit garçon du DRH, bonjour l’ambiance ! Ainsi, dans un souci d’anonymat et d’évitement de discorde, nous avons fait le choix de ne pas afficher leurs oeuvres des enfants. » témoigne Johanna, éducatrice de jeunes enfants.

Comme nous pouvons le constater, encourager un tout-petit à faire de belles productions peut placer, selon le contexte, enfant, parent ou professionnel dans une position inconfortable. A ce point de la réflexion, une question s’impose : finalement, les activités cadrées de dessin, de coloriage ou autre, sont-elles si indispensables au développement des enfants de cet âge ? Bien entendu, la réponse est non. Certes, il est important de sensibiliser les plus grands aux spécificités d’une activité cadrée, véritable amorce d’une scolarité future. Toutefois, la richesse du jeu libre, très souvent méconnue des parents, est à privilégier. N’oublions-pas que moins une activité est cadrée et prédéterminée, plus celle-ci offre une part d’imagination, de créativité et d’expression à un enfant. Ce n’est pas à un jeu, ou à une activité, de commander un enfant, mais l’inverse. Alors, être productif, pourquoi pas, mais pas n’importe quand, ni n’importe comment !

"Transmettre aux parents des anecdotes, plutôt que des productions ! »
« Je veille à laisser l’enfant acteur et libre de ses choix d’activités, et en profite pour l’observer sur ces temps de jeu : avec quelle poupée il a joué, où, avec quel enfant, quels étaient les mots qu’il a employés, l’expression de son visage, les étapes de son jeu… A nous de partager alors avec les parents ces anecdotes de la journée de leur enfant, tout en leur précisant l’intérêt de ces activités, en apparence anodines, pour son développement. »

Myriam DANO, éducatrice de jeunes enfants et directrice d’une crèche collective en région parisienne.

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